Dans une part de son œuvre, Tiago Rodrigues revisite des figures iconiques, en l’occurrence Iphigénie. Il ne s’agit pas de rejouer l’histoire, mais d’interroger la mémoire qui en est restée dans notre imaginaire, au regard de la construction des rapports homme/femme depuis des millénaires.

Car que raconte Iphigénie, sinon la suprématie des guerriers, des héros virils qui, pour parvenir à leurs fins, exigent le sacrifice d’une jeune fille, soi-disant à la demande des dieux ? Dans cette version magnifiquement orchestrée par Anne Théron, sur une digue qui plonge dans l’océan, des ombres attendent que le vent se lève. Ces fantômes sont conviés à confronter leurs souvenirs, à en découdre : pourquoi Iphigénie a-t-elle été sacrifiée par son père, au nom de quelle loi, de quelle obligation ? Pourquoi Agamemnon ne décide-t-il pas de sauver son enfant, en renonçant à la royauté par exemple ? Un texte et une mise en scène qui nous permettent de sentir comment, au fil des millénaires, les êtres humains voient leurs destins non plus dirigés par des dieux, mais par leur libre arbitre.

En lien avec Iphigénie et Héros (we can be).
Quels sont les rapports du mythe avec la réalité ? À quoi sert-il ?

R. Caillois : Le mythe et l’homme, Folio essais
Mircea Eliade : Aspects du mythe, Folio essais

Das Plateau, pour son premier spectacle en direction du jeune public a choisi Le Petit Chaperon rouge dans la version des Frères Grimm. Ici, la petite fille qui se promène joyeusement dans la forêt n’est pas imprudente ou naïve mais au contraire vaillante et courageuse, traversant les dangers et retournant le sort.

Ce récit initiatique retrouve une dimension occultée, qui, par-delà les temps et les générations, magnifie la solidarité féminine et raille les affreux loups méchants. On redécouvre ainsi ce conte émancipateur, beaucoup plus subversif qu’on ne le pense, qui affirme le droit au mystère, au plaisir, à la liberté et à la peur. Un dispositif optique qui rivalise d’ingéniosité et de poésie, dans lequel se déploie une succession de tableaux-paysages faits de disparitions et d’apparitions, rend tout son mystère et toute sa vitalité au conte. Le résultat est une pépite d’une beauté esthétique bouleversante qui creuse aux racines du conte des frères Grimm pour mieux en extraire la vision optimiste et roborative.

Marie-Flore ne ressemble à personne et personne ne ressemble à Marie-Flore. Minois de chat au cœur écorché, regard bleu cristallin et timbre à nulle autre pareille, elle est l’une des rares artistes françaises capables de passer d’un piano-voix éthéré à une pop teintée d’urbanité et de modernité, à chaque fois poétique.

Auteure, compositrice, interprète et multi- instrumentiste, Marie-Flore est une amatrice de pop sous toutes ses formes. Dans ses textes, elle cultive les thématiques vénéneuses, se plait à chanter des jeux de mots sensuels, parfois abrupts, aspects auxquels elle tient tant du point de vue sonore que textuel. Après un premier album qui a fortement séduit (Braquage), elle revient sur scène pour défendre son nouveau disque Je sais pas si ça va. La performance est un art qu’elle maîtrise : séduisante, défiante, ironique, littéralement hors du commun, Marie-Flore prend d’assaut les cœurs sur disque comme sur scène.

Une nouvelle proposition bouleversante d’Emmanuel Meirieu, un des maîtres actuels du théâtre de l’émotion. Il a le talent de jouer sur la contradiction entre la grandeur et la médiocrité de la condition humaine. L’être humain, ce mélange d’étoiles et de boue, qui oscille sans cesse de l’un à l’autre.

Le point de départ, c’est la sonde Voyager, que la NASA envoie dans l’espace en 1977, avec à son bord un disque de présentation de l’humanité, au cas où dans ses pérégrinations la sonde rencontrerait une civilisation extra-terrestre. Et sur ce disque, des enregistrements de musique, des photos, des sons, un bouquet de réalisations humaines. Parmi la musique, un blues de Blind Willie Johnson, bluesman noir américain mort dans la misère dans les années 40, après que l’hôpital du coin eut refusé de le soigner, parce que noir et pauvre. C’est cet être méprisé par la société qui 30 ans plus tard traverse l’espace comme ambassadeur de l’humanité…

L’identité de naissance, l’identité sociétale, l’identité intime, l’identité familiale, et le rôle assigné à chacun des deux sexes sont les sujets de ce conte initiatique et ce récit du réel.

Il raconte l’histoire d’Ella dont le malheur est d’être née fille. Elle vit dans un pays où les filles ne sont pas libres de se déplacer, de s’instruire… Or, comme elle est la 4e fille et que depuis des siècles, dans ce pays, n’avoir que des filles est considéré comme une malédiction, d’un commun accord, les parents décident de faire passer Ella pour un garçon à l’extérieur de la maison. Mais le jour de ses 15 ans, le fils toléré doit redevenir une fille et se marier, sinon c’est la prison et l’opprobre sur toute la famille. Au-delà de renvoyer à une réalité qui continue de perdurer en Afghanistan et au Pakistan, ce texte est une variante de l’histoire universelle sur le poids des traditions et des dommages qu’il engendre.

Un spectacle (Molière du théâtre public en 2022) complètement déjanté, que toute la famille prendra un immense plaisir à voir ! Une histoire loufoque, absurde, surréaliste et à hurler de rire

Soit un type en costume trois pièces, qui reste assis tout le long du spectacle, et qui nous raconte une histoire que d’aucuns auraient qualifiée « d’abracadabrantesque » : il aurait pêché par accident une sirène, dans le Grand Nord, sirène qui l’aurait maudit et condamné à errer par le vaste monde. Derrière lui s’agite un comparse, aussi grand et maigre que lui est enveloppé, et qui illustre ses propos avec des centaines de morceaux de carton où sont inscrits les noms des pays, accessoires, et diverses bestioles rencontrés. Une succession impitoyable de gags visuels, une explosion d’idées géniales et toutes plus farfelues les unes que les autres. On est entre dessins animés (cartoon…) et burlesque, entre Monty Python et Shakespeare, et on se demande où ils sont allés chercher tout ça, pour notre plus grand plaisir.

Elle, c’est Vassilena Serafimova, percussionniste surdouée. Lui, c’est Thomas Enhco, compositeur, pianiste jazz et classique, tout aussi surdoué. Elle et lui sont biberonnés à la musique de Bach depuis bébés.

Ensemble, ils vont nous faire entendre les œuvres de leur glorieux aîné comme jamais, au piano et au marimba, en en livrant des « éclats » sur lesquels ils improvisent jusqu’à renvoyer l’image d’un Bach en miroir réfléchissant leur langage du XXIe siècle… Comme envoûtée, Vassilena Serafimova éclate les mélodies qui s’envolent sous les baguettes du marimba, tandis que Thomas Enhco au piano dessine et fraye le chemin de l’aventure. Porté par une longue pratique, le duo formé en 2008 combine imagination créative et technique impeccable. Formée à la Juilliard School de New York, Vassilena Serafimova est la meilleure ambassadrice du marimba sur tous les continents. De son côté, Thomas Enhco collabore avec de nombreux artistes du monde du jazz et du classique, dont Ibrahim Maalouf, Natalie Dessay, Jean-François Zygel, Oxmo Puccino, Christophe, Jane Birkin…

Quantité de fées musiciennes se sont penchées sur le berceau de Thomas Enhco il y a trente-cinq ans. Depuis, Thomas est devenu compositeur, pianiste de jazz comme de classique, violoniste, parfois chef, et il va exprimer ses multiples talents tour à tour, avec naturel et simplicité.

Le Murmure des Oiseaux qu’il a composé lui a été inspiré par « les milliers d’étourneaux qui virevoltent, tournoient, changent soudainement de direction sans jamais se heurter. » Il en est également l’interprète au piano, avec, à ses côtés, la violoniste Sarah Nemtanu, premier violon solo de l’Orchestre national de France et soliste hors pair. Véritable magicien, Enhco devient pianiste classique dans le Concerto en sol de Ravel, aux accents très jazzy. La soirée se conclut avec la puissance de feu orchestrale de la Symphonie n° 9 dite la « Grande » de Schubert, sans Enhco, mais dirigée par la baguette, forcément magique, de Johanna Malangré, directrice musicale de l’Orchestre de Picardie qui assure le concert.

Dans Gravité, Angelin Preljocaj joue avec l’ennemi du danseur : ce qui l’attire vers le sol et le cloue. Il demande donc à ses interprètes de s’affranchir de la pesanteur, de déployer leurs corps comme autant de figures d’un feu d’artifice incarné, dans un ballet réglé au millimètre, captivant et graphique.

Le plateau baigne dans une lumière lyrique, et les corps s’y attirent et s’y repoussent. Ils s’envolent, ou au contraire s’ancrent dans le sol, selon une partition musicale des plus éclectiques : de Bach à Daft Punk, Xenakis, Chostakovitch, Philip Glass. Le spectacle se conclue sur une interprétation magnifique du Boléro de Ravel. Sa méditation sur la gravité conduit le chorégraphe virtuose à nous offrir un hommage à la grâce dans une écriture des corps au croisement du classique et du contemporain.